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dimanche 8 mai 2011
La France porno
C'était le dernier bastion de la résistance. Les femmes y avaient encore la vertu des épouses de marins. Leur vie se passait à guetter, au bout de la jetée, le retour des thoniers et des sardiniers. Dès la quarantaine, elles commençaient à porter la coiffe distinctive de leur état, calotte noire surélevée entre deux boucles de dentelle pour les paysannes et petit bonnet brodé pour les sardinières. On reconnaissait celles dont le Mari avait péri en mer à leurs coiffes de deuil en tulle simple. Les curés bénissaient les bateaux au départ des campagne et régnaient sur les foyers sans homme et les cœurs esseulés. C'était Concarneau, la ville close battue par l'océan, où l'on craignait Dieu autant que les tempêtes. Et Concarneau est tombée. Le petit port du Finistère a été atteint à son tour par la vague du porno qui submerge la France. Le porno a remplacé les pardons.
Il y a un an, M. et Mme Bourhis, qui exploitent deux cinémas de la ville le Celtic et le Vox, étaient en difficultés. Ils avaient de plus en plus de mal à remplir leurs salles et parvenaient à peine à totaliser entre 100 et 400 entrées en sept séances. Un beau jour, ils se décident. Pleins d'appréhension, ils programment un film suédois parmi les plus timides, malgré ses affiches racoleuses : « Je suis curieuse ». Le Celtic fait salle comble. M. Bourhis s'enhardit et passe régulièrement, le samedi, un film interdit après la séance de 21 heures. Chaque fois, le nombre des spectateurs augmente. Concarneau avait bien changé sous ses coiffes.
La ville bascule avec l'irruption d'Emmanuelle :1773 tickets en cinq séances, 3668 entrées en tout. Les dernières défenses s'effondrent. Si « les Baiseuses », qui font quand même 724 entrées en trois séances, provoquent encore quelques protestations hypocrites, « les Jouisseuses » tirent définitivement d’affaire l'entreprise de M. et Mme Bourhis. Concarneau attend maintenant avec impatience la sortie des « Tripoteuses ».
II y a ceux qui s'approchent honteusement du Celtic, en disant d'un air innocent à la caissière : « Je ne sais même pas ce qu'on joue ce soir. Je suis venu parce que ma télé est en panne. » I1 y a ceux qui arrivent à la dernière minute en rasant les murs et qui repartent précipitamment sans saluer ni regarder personne. II y a cet homme de 50 ans qui vient toutes les semaines dévorer des yeux les photos exposées dans le hall et gui précise chaque fois à la caissière : « Je ne viens pas voir le film. » C'est encore la vieille province soucieuse de respectabilité. Mais d'autres, déjà, ne se gênent plus. Un couple de 45 ans est venu voir « les Jouisseuses » quatre fois, en téléphonant auparavant pour retenir ses places. Ce sont des gens connus et estimés dans la ville. « Les Jouisseuses » ont d'ailleurs bouleversé la campagne environnante et ont notamment attiré tout un groupe de vieux paysans qui ne parlaient que le breton, et qui n'étaient visiblement jamais entrés dans un cinéma de leur vie. D'autres, pour être sûrs de ne pas être volés, viennent demander des photos du film avant la projection. Le « qu'en-dira-t-on » ne tue plus. Concarneau n'est plus Concarneau. Le temps des dernières coiffes est proche.
Seul, le directeur de l'école des frères a tenté un combat d'arrière-garde. Il a convoqué M. Bourhis pour le sermonner, lui rappeler le temps où il était enfant de chœur. Mais M. Bourhis a répondu par des chiffres : « J'ai une salle à remplir, le porno le fait. Maintenant, si vous voulez m'acheter 400 tickets, je veux bien vous passer « la Vie de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus »). L'ecclésiastique a baissé la tête.
II est vrai que même le cinéma de patronage a, lui aussi, bien évolué. A Quimper, par exemple, la salle paroissiale passe « les Contes immoraux » et « les Mille et une Nuits » de Pasolini après son programme familial.
Même à Concarneau la vertu ne se vend plus. Les « bons » films non plus. Pour obtenir une « tête d'affiche » rentable, un exploitant de province doit se laisser imposer toute, une série de navets. Pour avoir « la Tour infernale », M. Bourhis a dû accepter douze films de la Warner Columbia. Le porno, c'est notre S.m.i.c., a encore dit le propriétaire du Celtic au directeur de l'école des frères. Il faut choisir : ou le cinéma est un art ou il est un commerce.
(Texte et photographie extraits de Paris MATCH / N°1373 – 20 sept 1975)
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merci de partager ce document exceptionnel!
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